Discours de départ – Michel Loriaux

Discours de départ - Michel Loriaux

Quitter une association dont on a assumé la présidence pendant huit ans ne va pas forcément sans un léger pincement de cœur. Ce fut mon cas vendredi dernier 3 mai.

Pourtant, je pars avec le sentiment d’avoir plus ou moins correctement rempli le job, certes sans avoir fait des prouesses de développement, mais au moins en ayant maintenu le cap et en ayant permis à la société de survivre, ce qui n’est pas forcément facile quand on représente un groupe professionnel de démographes dont le nombre est forcément restreint dans un petit pays comme la Belgique partagé entre deux sociétés linguistiquement distinctes au Nord et au Sud du pays (la VVD et la SDFB).

Je précise immédiatement que je ne revendique pas seul ce succès relatif qui a d’abord été celui d’une équipe dont les membres se sont investis avec détermination dans cette entreprise parfois assez ingrate et que je tiens à remercier pour leur engagement : André Lambert comme vice-président, Marc Debuisson comme secrétaire général, Denis Morsa comme trésorier, ainsi que les autres membres du Conseil d’administration de notre ASBL Micheline Lambrecht, Lenaïg Le Berre, Jean-Pierre Grimmeau et Jean-Paul Sanderson.

Cependant, la vie d’une société n’a de sens que lorsqu’elle est resituée dans son histoire et il m’a paru important de rappeler les noms de ceux et celles qui ont apporté leur contribution à son maintien en activité et cela depuis 1968, date de la création de la Société belge de démographie (SBD) à l’initiative d’une poignée de chercheurs convaincus que la démographie valait bien qu’on lui consacre une société-savante, même si cette discipline était peu connue du grand public et si la plupart des scientifiques qui se revendiquaient des sciences de la population étaient des autodidactes, non diplômés en démographie. Et pour cause, puisqu’il existait, à cette époque, très peu de formations spécifiques diplômantes dans cette discipline, la première en Belgique venant à peine de s’ouvrir à l’UCL.

Priorité aux disparus, je me souviens de quelques figures qui ont été de véritables piliers de la SBD, comme Henriette Damas (CPF), le révérend père Mols, Jean Morsa (CPF), Jean-Paul Bougaert (Univ Mons) que les plus anciens membres ont bien connus.

Mais dans la lignée des (sur)vivants beaucoup de noms sont restés dans les mémoires, en particulier ceux des anciens présidents qui ont assuré la continuité de la société : Guillaume Wunsch, Christine Wattelar, Michel Poulain, Eric Vilquin, Louis Lolhé-Tart (sans respecter forcément l’ordre chronologique). Merci à tous (et aux oubliés éventuels) d’avoir été des maillons de cette chaîne qui s’est étirée sur près d’un demi-siècle et dont j’espère qu’elle se maintiendra encore pendant les décennies à venir.

Durant toute cette période la SBD (devenue plus récemment SDFB pour affirmer son attachement à la langue française et son rattachement à la région Wallonie-Bruxelles) a débattu dans ses séances scientifiques de nombreuses questions qui rentrent dans le domaine (il est vrai parfois un peu exigu) de la démographie, autant théoriques qu’appliquées depuis les migrations et la fécondité belge jusqu’à la croissance de la population mondiale en passant par les débats méthodologiques autour des enquêtes et des recensements. A l’occasion, elle a même contribué à encourager l’initiation à la démographie dans l’enseignement secondaire en publiant un « ABC de la démographie » (réalisé par Godelieve Masuy-Stroobant) à l’attention des professeurs chargé des cours de sciences sociales.

Mais durant mon mandat, trois réalisations m’ont tenu particulièrement à cœur : d’abord la création d’un prix Verhulst en partenariat avec la VVD destiné à récompenser des travaux d’étudiants en matière de sciences de la population (déjà accordé à deux reprises). Ensuite, la commémoration du Rapport Sauvy sur la population wallonne publié en 1962 et dont on fêtait en 2012 le cinquantenaire auquel j’avais été indirectement associé à l’époque puisque, jeune président du cercle des étudiants en Sciences sociales de l’ULg, j’avais réussi à inviter Alfred Sauvy à venir présenter son rapport au grand public dans cette même salle académique de l’Université de Liège où notre société a organisé en partenariat avec le Conseil économique wallon et l’IWEPS une séance d’hommage au démographe français et en même temps de prospective sur l’avenir de la population wallonne.

Enfin, cette demi-journée scientifique consacrée à un thème  qui est devenu dominant dans les préoccupations des démographes mais aussi des pouvoirs publics, le vieillissement et la longévité des hommes et des citoyens. Pourtant, en dehors de l’intérêt scientifique évident de cette problématique, ma principale préoccupation en prenant cette initiative en accord avec mon bureau a été d’honorer des membres de notre société qui ont atteint récemment – ou qui l’atteindront prochainement – l’âge de la retraite, tout en faisant la démonstration que la retraite n’est pas synonyme de mort scientifique puisque nous avons demandé à nos promus d’être les principaux animateurs de cette séance un peu particulière.

Et je pense que le but a été largement atteint puisque tous ont relevé, avec un enthousiasme que l’âge ne limitait pas, le défi qui leur était soumis. Je tiens donc à féliciter chaleureusement, en mon nom, et en celui du Conseil d’administration et de l’assemblée des membres participants, nos émérites (dans l’ordre de la montée à la tribune), à savoir : – Jean Pierre Grimmeau, professeur de géographie à l’ULB qui, avec la rigueur d’une cartographie communale dont il a la parfaite maîtrise, nous a montré que derrière le vieillissement en apparence uniforme se dissimulait  souvent des situations locales extrêmement différenciées – André Lambert (économiste et démographe) et Louis Lolhé-Tard (sociologue et médecin), les infatigables animateurs d’ADRASS  et anciens chercheurs au Département de démographie de l’UCL qui ont montré, outre leur maîtrise des outils de projection de population, que des scénarios extrêmes n’étaient jamais à exclure a priori et qu’ils pouvaient avoir des conséquences inattendues autant socio-économiques que démographiques – Josianne Duchene, professeur à l’UCL, mathématicienne avant de devenir démographe, qui est revenue sur un de ses anciens travaux réalisé dans la décennie 80 et qui, en collaboration avec Guillaume Wunsch, avait suscité la curiosité des milieux scientifiques et politiques en proposant une nouvelle table de mortalité dite limite dans laquelle la mort était quasiment absente jusqu’à 60 ans et ne reprenait sa totale maîtrise sur la vie qu’après 115 ans – Michel Poulain, d’abord physicien devenu par passion démographe grâce à son goût de la généalogie et de la démographie historique et qui, au fil des années, s’est mué en chercheur de centenaires à travers le monde, une spécialité assez rare dont il parle avec une force de conviction peu commune, mais aussi avec un grand respect des hommes et des femmes qui ont atteint les limites – toujours repoussées – de la vie humaine – Micheline Lambrecht, économiste, attachée au Bureau du Plan, représentant à plusieurs reprises la Belgique auprès de la Commission économique et sociale des Nations Unies, qui est depuis longtemps l’interface entre de nombreux démographes et des planificateurs, en participant à tous les travaux de préparation des perspectives officielles de population et qui nous a montré que les incidences économiques du vieillissement démographique sont maîtrisables à long terme si du moins les programmes de rigueur mis en place sont maintenus (condition, il est vrai dont la réalisation n’est pas garantie).

A tous ces orateurs d’une après-midi, je renouvelle mes remerciements et je leur souhaite une grande longévité en bonne santé et en pleine possession de leurs ressources intellectuelles intactes comme ils nous en ont donné la preuve cette fois encore. Ce ne sera probablement pas pour l’éternité, ni même pour mille ans, comme Guillaume Alexandre l’annonçait en terminant sa conférence vidéo d’introduction, mais j’espère pour de longues années encore.

Quant au nouveau Conseil d’administration, je souhaite à ses élus de fraîche date et aux anciens renouvelés, bon vent et succès dans leurs futures activités, dans le prolongement des précédentes que j’ai voulu évoquer pour que le « Monde d’après » se souvienne de ce qu’il doit au « Monde d’avant ».

Bien à vous

Michel Loriaux